Le Peuple des Ténèbres / scénario de Jean Depelley, dessin de Nicolas Guénet, d’après l’œuvre de Robert E. Howard ; [postface de Patrice Louinet]. Lyon : Éditions Original Watts, 2024. 68 p. + [planches]. (Collection Howard’s Barbarians ; 01).
Cette adaptation par des auteurs français de la nouvelle de Robert E. Howard People of the Dark, publiée en 1932 dans Strange Tales of Terror and Mystery est tout simplement excellente. Le scénario de Jean Depelley est efficace et les dessins de Nicolas Guénet, en noir et blanc, avec des nuances de gris, sont remarquables, magnifiques. On pense à Richard Corben. La postface est de Patrice Louinet, traducteur de Robert Howard chez Bragelonne. Un bien bel album pour les fans de Robert Howard, qui sera suivi par Poèmes barbares, toujours chez Original Watts.
Né à Paris en 1960, Iaroslav Lebedynsky enseigne l’histoire
de l’Ukraine à l’Institut national des langues et civilisations orientales de
Paris. Il a signé et cosigné de nombreux ouvrages. Voir sa bibliographie sur
Wikipédia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Iaroslav_Lebedynsky
Résumé du livre et présentation de l’auteur en quatrième de couverture.
Table des matières.
Introduction. 7
Prologue : le dieu-épée hittite de Yazilikaya. 11.
I. L’icône de fer des Scythes. 15
II. Le culte du dieu à l’épée chez les Sarmates et les
Alains. 29.
III. Les traces archéologiques. 35.
IV. L’héritage caucasien. 59.
V. Attila et le glaive de Mars. 79.
Cahier illustré. I-VIII.
VI. Comparaisons eurasiatiques. 91.
VII. Les épées du « Roi Arthur ». 129.
Conclusion.
149.
Annexes. 159.
Bibliographie. 171.
Ce livre de Iaroslav Lebedynsky est une invitation au
voyage à travers le temps et l’espace. Les chapitres courts promènent le
lecteur de l’empire hittite (vers 1215 av. J.-C.) au Moyen Age occidental, et
de la Bretagne insulaire au Japon, en passant par l’Ukraine, le Caucase,
l’Oural, la Perse, la Chine… Au commencement était Hérodote d’Halicarnasse.
L’historien grec (Ve siècle av. J.-C.) est le premier à écrire sur l’Arès
scythe, terrible dieu de la guerre, dont on ignore le nom ethnique, représenté,
presque incarné par une épée plantée sur un grand bûcher (auquel on ne met pas
le feu !), l’akinakès sidéreos arkhaîos = « un vieil akinakès
de fer ». Cette épée courte commune aux nomades scythes et sarmates et aux
Perses sédentaires est arrivée jusqu’en Chine.
« L’enquête » de l’auteur se poursuit chez les Sauromates,
Sarmates et Alains, à la fois successeurs et héritiers des Scythes. Après un
chapitre dédié à l’archéologie, plein de tertres, de kourganes, de statues anthropomorphes,
d’épées, de sabres et de poignards, l’auteur aborde aux rives du Caucase, lieu
de refuge des Alains et de leurs descendants les Ossètes.
Ces derniers ont transmis sous forme de contes une épopée centrée sur une confrérie de héros, les Nartes dont le plus célèbre est Batradz (Note 1), un guerrier ombrageux, violent, « dont le corps est une lame d’acier trempé » ! Le destin de ce héros se confond avec celui de son épée et plonge ses racines dans un fonds très ancien remontant au passé indo-européen. L’épopée des Nartes a été étudiée par Georges Dumézil, le maître des études indo-européennes, et ses continuateurs, Georges Charachidzé et Joël H. Grisward.
Viennent ensuite Attila et le « glaive de Mars », ce dernier vu sous l’angle de l’épée d’investiture, statut qu’il partage avec l’épée d’Arthur. Puis suivent des comparaisons entre données iraniennes et européennes médiévales, incluant la scandinave Gramr, l’épée de Sigurd/Siegfried, un cadeau empoisonné du dieu Odin. Enfin, l’auteur aborde les « épées d’Arthur », dont la très célèbre Excalibur et questionne l’origine de la légende, en réexaminant la piste sarmate. Bien avant « l’époque d’Arthur », des Sarmates danubiens, vaincus en 175 par l’empereur Marc Aurèle, sont intégrés dans l’armée romaine en tant qu’auxiliaires de cavalerie. Ils servent en Bretagne insulaire (et peut-être en Armorique). Les Romains (et les Germains) auraient emprunté aux Sarmates leur enseigne, un draco (une tête de dragon en métal munie d’une manche à air), qui serait devenue (ou pas) le dragon des Pendragon ? « Par exemple, la légende et l’iconographie attribuent à Arthur une bannière au dragon et son père se nomme Uther Pendragon, littéralement « chef-dragon », « tête-dragon. » (Note 2)
Se référant notamment aux recherches de Martin Aurell,
Marcel Brasseur, Alban Gautier et
Justine Breton, et sans rejeter la piste sarmate, l’auteur se concentre sur le
thème de l’épée tirée du rocher (du perron, de l’enclume) et de sa jumelle, l’épée
offerte par une fée et jetée à la mer (ou dans un lac), deux localisations de
l’île d’Avallon où Excalibur aurait été forgée selon L’Histoire des Rois de
Bretagne de Geoffroy de Monmouth. L’auteur cite aussi Le Songe de
Rhonabwy et Cullwch et Olwen, deux récits des Mabinogion, un
recueil de contes gallois de transcription médiévale, transmettant un vieux
fonds celtique, où figure l’épée d’Arthur sous le nom gallois est Caledwlch
= « dure-entaille ». (Note 3.)
Outre les récits de Robert de Boron, l’auteur mentionne plusieurs
romans arthuriens français, préférant La Mort le Roi Artu, du XIIIe
siècle, dernier opus du cycle du Lancelot-Graal à la grande compilation
de l’Anglais Thomas Malory, Le Morte Darthur, écrite à la fin du XVe
siècle.
En comparant un conte ossète recueilli en 1875 en
Ossétie, lequel narre la fin d’un Batradz lassé de la vie, à la scène du roman
français, dans laquelle Girflet, après plusieurs fausses tentatives, se résout
enfin à jeter Excalibur, l’auteur montre les similitudes et les différences
concernant le sort des deux épées magiques et de leurs
possesseurs respectifs, ce qui s’accompagne de prodiges : Batradz, le
héros d’acier, ne peut mourir que si son épée disparaît avant lui dans les eaux,
la Mer Noire en deviendra rouge ! Arthur agonisant sait qu’Excalibur doit rejoindre
les eaux d’où surgira la main pour la brandir ; grâce au geste plusieurs
fois retardé de Girflet, il est dès lors prêt à s’embarquer dans la barque
d’Avallon. Dans les deux récits, les auxiliaires ou compagnons, les Nartes d’un
côté, Girflet (ou Bedivere selon d’autres versions), cherchent à tromper le
héros ou le roi, laissant croire que l’épée a bien été engloutie. C’est le
récit du prodige qui proclame la vérité de l’acte !
Pour conclure, on ne peut que conseiller la lecture de ce
livre sérieux, documenté et agréable à lire, traitant dans un style alerte un
sujet complexe, en conservant un minimum de noms ethniques et de termes
techniques, tranchant parfois les hypothèses, mais sans assommer pour autant le
lecteur ! Jean-Paul Brethenoux
Note 1. Le père de Batradz est un Narte. Sa mère appartient
au peuple des Donbettyr, des génies des eaux, chez qui le héros sera en
partie élevé. L’analogie « aquatique » entre Donbettyr et la
dame du Lac s’arrête à l’apparence physique : la mère de Batradz vit sur
terre sous l’apparence d’une grenouille !
Note 2. Une enluminure du XIIIe siècle montre un Merlin chevauchant avec les chevaliers de la Table Ronde et brandissant son draco.
Note 3. On pourrait ajouter à la riche bibliographie,
rassemblant livres, articles, mémoires et catalogues d’exposition, publiés en
français, en anglais et dans d’autres langues, notamment d’Europe de l’Est et
du Caucase, les deux traductions françaises des Mabinogion : Joseph
Loth, Les Mabinogion du Livre Rouge de Hergest avec les variantes du Livre
Blanc de Rhydderch, Paris, Fontemoing, 1913, 2 tomes, et Pierre-Yves
Lambert, Les Quatre Branches du Mabinogi et autres contes gallois du Moyen
Âge, Paris, Gallimard, 1993 (L’aube des peuples).
Enemigos de Roma. I. Los celtas. Madrid : Desperta Ferro Ediciones, diciembre 2023-enero 2024. 81 p. (Desperta Ferro Especiales ; XXXVII). Auteurs : Luc Baray, Luis Berrocal-Rangel, Alain Deyber, María del Mar Gabaldón Martínez, Gustavo García Jiménez, Sophie Krausz, Thierry Lejars, Alberto Pérez Rubio, Lionel Pernet, Fernando Quesada Sanz, Guillaume Reich. Textes en espagnol. Traduction des textes français : David Soria Molina. Illustration de couverture : Radu Oltean.
Ce dossier abondamment illustré, composé d’une douzaine d’articles rédigés par des archéologues et historiens espagnols et français, spécialistes des Celtes ( Gaulois, Galates, Celtibères…), de la guerre dans l’Antiquité et de l’armement celtique, est en tous points remarquable, tant pour la qualité des textes que de l’iconographie retenue, cartes détaillées comprises. Une réussite !
La légende arthurienne revient dans l’actualité grâce aux recherches et au travail d’édition de manuscrits arthuriens réalisé par Emanuele Arioli, jeune chercheur italien, ayant effectué une partie de ses études en France.
Ségurant Le Chevalier au Dragon. Roman de la Table Ronde / édité et traduit par Emanuele Arioli d’après des manuscrits médiévaux retrouvés. Paris : Les Belles Lettres, 2023. 264 p.
Ce premier titre, lu il y a environ un mois, est tout à
la fois passionnant, érudit et accessible à un large public.
Le Chevalier au Dragon / Emanuele Arioli, Emiliano Tanzillo. Dargaud Benelux, 2023. 104 p.
Il s’agit d’une adaptation en BD de l’histoire de Ségurant
avec une surprise de taille : le héros, dessiné par Emiliano Tanzillo, se
nomme ici Sivar ! L’album est un tous publics à partir de 12 ans.
N’ayant acquis les deux titres suivants que récemment, je les ai seulement parcourus. Ils sont dans ma pile de lecture. Ces volumes s’adressent plus particulièrement à un public de médiévistes et à des lecteurs connaissant un peu la littérature arthurienne.
Ségurant ou le Chevalier au Dragon. Étude d’un roman arthurien retrouvé / Emanuele Arioli. Paris : Honoré Champion Éditeur, 2019. 536 p. (Collection Nouvelle bibliothèque du Moyen Âge ; 126).
Ségurant ou le Chevalier au Dragon. Tome I. Version cardinale / édition critique par Emanuele Arioli. Deuxième édition. Paris : Honoré Champion Éditeur, 2023. 402 p. (Collection Les Classiques français du Moyen Âge ; 188).
Ségurant le Chevalier au Dragon / histoire et scénario Emanuele Arioli, illustration de la légende Emiliano Tanzillo, bande dessinée Alekos et Emiliano Tanzillo. Éditions du Seuil Jeunesse, 2023.
L’épée jetée au lac. Romans de la Table Ronde
et légendes sur les Nartes / Joël-Henri Grisward. Paris : Éditions Champion,
2022. 190 p. (Essais sur le Moyen-Âge ; 78).
Joël-Henri Grisward est Professeur honoraire de littérature
française du Moyen Âge à l’Université François-Rabelais de Tours et auteur,
parmi d’autres livres, d’Archéologie
de l’épopée médiévale. Structures trifonctionnelles et mythes indo-européens
dans le cycle des Narbonnais, publié en 1981 et préfacé par
Georges Dumézil.
Le présent livre s’ouvre sur un souvenir atypique de mai 1968, l’auteur raconte qu’il a acheté un livre aperçu en devanture d’une librairie du quartier latin: L’Idéologie des trois fonctions dans les épopées des peuples indo-européens par Georges Dumézil [le premier tome de Mythe et épopée chez Gallimard]. Ce livre va orienter sa vie. L’auteur, qui travaillait alors sur La Mort le Roi Artu, un roman français du XIIIe siècle cite cette phrase mémorable de Dumézil : «À la fin, il clame son secret: la mort ne le prendra que lorsque sa puissante épée sera jetée dans les eaux de la Mer Noire». Et Grisward de commenter: «Or, ce secret, c’est très exactement celui du roi Arthur!». Ce «il» n’est autre que le Narte Batradz (1), le héros de la grande épopée des Ossètes du Caucase, lesquels sont les descendants des Alains, réfugiés au Caucase et par-delà des nomades Scythes et Sarmates. À travers les vicissitudes de l’Histoire, les Ossètes ont réussi à conserver leur langue et leurs légendes d’origine indo-européenne.
Le livre est structuré en quatre chapitres, suivis d’une
bibliographie (2) et d’index. L’auteur s’attache à démontrer les
ressemblances voire les similitudes fonctionnelles entre un trio celto-médiéval
formé de Keu, Gauvain et Arthur et un trio ossète composé de Syrdon, Soslan (ou
Sozryko) et Batradz. En accord avec d’autres auteurs, Grisward écarte
l’hypothèse d’emprunts directs entre Celtes et Ossètes, lui préférant celle
d’un héritage commun, remontant au lointain passé indo-européen. Si l’auteur
mentionne bien la présence d’Alains en Gaule romaine, à l’époque des Grandes
Invasions, il n’évoque pas celle des Sarmates en Bretagne romaine.
«Keu le premier ou le Feu dans l’Eau», p. 15-45.
L’étude commence par celle du sénéchal Keu, le Cai Hir des contes gallois. Keu est le dystein d’Arthur, l’intendant, organisateur de banquets, le gardien des clefs (3). La nourriture abondante relève de la troisième fonction indo-européenne, comme les talents de l’artisan, ici le polisseur d’épée, dans le conte gallois Kulhwch et Olwen (4). Keu est réputé pour son humeur irascible, détestable, sa langue perfide et ses nombreuses mésaventures. Keu est un guetteur, qui aperçoit en premier les nouveaux arrivants. Grisward rapproche Keu de plusieurs figures analogues ou homologues: l’Irlandais Bricriu, organisateur de banquets, l’Ossète Syrdon, un bâtard, qui partage avec Keu le goût du secret et que l’on surnomme le «fléau des Nartes», le dieu scandinave Loki, le gallois Evnissyen, et aussi de deux dieux: le Romain Janus, à la double-face, et l’Indien védique Agni, qui est à proprement parler, le Feu dans l’Eau. Keu le Perturbateur, apparaît aux yeux de l’auteur comme un initiateur, celui qui déclenche l’Aventure. Grisward souligne que c’est Keu qui en éloignant le jeune Perceval de la cour d’Arthur, où il vient juste d’arriver, va permettre au héros de devenir celui qu’il doit être, d’abord en découvrant son nom véritable, pour se mettre ensuite en quête du Graal. Que le sénéchal Keu soit vantard, orgueilleux, parfois odieux, est un fait récurrent dans les textes gallois, français, anglais…, va de pair avec ses qualités guerrières, indéniables dans les contes gallois, plus contrastées dans les romans français. Il est notable que Keu, malgré ses défauts, ne se comporte jamais comme les criminels, débordant d’hubris, que sont l’Ossète Syrdon, le Scandinave Loki ou le Gallois Evnissyen (5) qui après avoir mutilé les chevaux offerts au roi d’Irlande, jette son jeune neveu, fils de ce même roi, dans le feu, provoquant ainsi un massacre et une guerre avec les Irlandais. Enfin, jamais (ou presque jamais) Keu ne trahit Arthur.
«Gauvain ou le chevalier soleil», p. 57-106.
Ensuite vient le gentil Gauvain, preux chevalier et neveu préféré
du roi Arthur. C’est Gauvain le Conciliateur qui, par de douces paroles, saura
convaincre un Perceval absorbé par son extase sur fond de neige, de revenir à
la cour d’Arthur, après que Perceval a cabossé Keu et un autre chevalier, venus
lui demander son nom. Ne jamais cacher son nom, malgré les risques encourus,
est une caractéristique de Gauvain, au contraire de Keu le rusé. Le personnage
de Gauvain est très connu chez nous, plus en tout cas que le héros ossète
Soslan. Les deux ont des points communs : ce sont des guerriers courageux,
téméraires, féroces aussi, qui manifestent une propension à courir le guilledou. Le
Breton Gauvain, Gwalchmei en gallois, est le possesseur d’un cheval-fée, à la
robe blanche, nommé le Gringalet. Parmi les objets et symboles attachés au
personnage ou aux aventures, et qu’il partage parfois avec l’Ossète Soslan, on
trouve le soleil, la roue solaire, parfois blasonnée, et la hache. La force de
Gauvain croît avec le soleil montant, culmine à midi, pour décroître ensuite…
Quant à la hache, elle participe de ce que les mythologues nomment «le Jeu du
décapité». Le jour de Noël ou du Nouvel An, un Chevalier Vert, portant une
grande hache (ou guisarme) arrive à la cour d’Arthur et défie les chevaliers de
le décapiter et de se soumettre un an plus tard à la même épreuve. Seul Gauvain
accepte, tranche la tête du Chevalier Vert, qui s’en repart la tête sous le
bras. Au bout d’une année, au terme d’une quête, au cours de laquelle, Gauvain
restera chaste en présence de l’épouse du Chevalier Vert, se soumettra au «Jeu
du décapité» mais sauvera sa tête… Le grand héros irlandais Cuchulainn connaît
une aventure similaire avec le géant (ou dieu) Cu Roi, surgi lui aussi de
l’Autre-Monde. Étendant la thématique du «Jeu du décapité» à l’ancienne Gaule,
Grisward mentionne le rapprochement opéré jadis par Françoise Le Roux et
Christian Guyonvarc’h à propos d’un fragment énigmatique du géographe grec
Posidonius. Ce dernier mentionnait une scène curieuse: un Gaulois, ayant reçu
de riches présents, les distribuait à son entourage avant de s’offrir à la
décapitation, à l’épée cette fois. Ce passage pose la question des frontières
ténues séparant le rite et le mythe et ses possibles représentations, y compris
sous une forme théâtrale, puisque la scène évoquée se déroule dans un théâtre.
«Arthur ou le roi-épée», p. 107-143.
L’auteur étudie les destins parallèles du héros breton et de son homologue ossète, Batradz, le héros d’acier. La vie et la destinée de ces deux figures sont liées à leur épée. Batradz, l’enfant trempé comme une épée, possède une épée fabuleuse, qui devra être jetée dans la Mer Noire, provoquant ainsi sa mort. On voit clairement la ressemblance avec le destin d’Arthur. Pourtant les choses sont peut-être moins claires qu’il n’y paraît. Batradz conserve sa vie durant la même épée et il n’est pas roi. Au contraire d’Arthur, dont le destin est lié à une épée nommée Excalibur, Caliborn, ou Caledvwlch en gallois. À la fin, l’épée d’Arthur est jetée dans un lac, selon les versions, par Girflet ou Bedivere, Bedwyr en gallois, qui est à la fois l’échanson et le connétable d’Arthur. Certains considèrent que l’épée jetée au lac, offerte par la Dame du Lac, est la même que celle apparue dans l’enfance d’Arthur, plantée dans un rocher ou une enclume, et retirée, replantée, puis retirée par le jeune Arthur. Ce qui pourrait paraître comme un détail sans importance ne l’est pas. Car le lien entre la pierre et la Souveraineté est très prégnant chez les Celtes. Comme en témoigne la mythique Pierre de Fâl, apportée depuis les Quatre Îles au Nord du Monde, avec trois autres talismans, dont l’épée de Nuada, roi des Tuatha Dé Danann, les dieux de l’Irlande païenne. La pierre crie lorsqu’un roi légitime prend la Souveraineté sur l’Irlande. Dans la version bretonne christianisée, c’est une inscription qui révèle le lignage d’Arthur témoignant de son droit à la souveraineté sur l’île de Bretagne. Or Joël Grisward semble insister beaucoup sur l’aspect guerrier d’Arthur, peut-être pour intensifier le rapprochement avec Batradz, plutôt que sur son rôle de souverain. Or, si Arthur est roi de Bretagne et des îles, dans certains textes gallois, il est empereur. Ceci justifie la guerre avec l’empereur de Rome, présente chez Geoffroy, Wace et dans les romans, jusqu’à Malory. L’aspect guerrier est présent dans toutes les sources textuelles et figuratives italiennes notamment. Comme en témoignent l’archivolte de la cathédrale de Modène, montrant une expédition d’Arthur venu délivrer Guenièvre, retenue par Méléagant ou l’étrange mosaïque d’Otrante, vers 1165 (6) montrant un Arthur, brandissant une masse à tête ronde et chevauchant un bouc. Grisward y voit plutôt qu’une caricature d’Arthur, un rapprochement avec un des célèbres guerriers à la massue, le grand Héraclès (7) !
«Le trio magnifique ou le Rivage des Scythes», p. 145-175.
L’auteur poursuit sa comparaison entre les deux trios, le breton,
formé par Keu, Gauvain et Arthur et l’ossète, composé de Syrdon, Soslan et
Batradz. Or l’auteur le concède, le trio originel du côté breton, comme en
témoignent les contes gallois, est formé de Keu, Arthur et Bedwyr, le Bedivere
des romans. Décrit comme le plus bel homme de Bretagne, c’est un guerrier
redoutable, comme Keu ou Gauvain, et ce, malgré son infirmité. Bedwyr, le
porteur de diadème est manchot. Certains ont pu faire le rapprochement avec le
roi Nuada, évoqué ci-dessus, qui, en perdant son bras, perd la royauté. Parvenu
au terme de cette longue (trop longue) suite d’impressions de lecture, éloignée
d’un compte rendu au sens académique, j’espère que le futur lecteur prendra
plaisir à découvrir ce livre de Joël Grisward, qui est à la fois clair, érudit
et accessible et pour tout dire bien agréable à lire.
Jean-Paul Brethenoux
(1). Les Nartes sont une sorte de confrérie guerrière initiatique, une société d’hommes, un Männerbund, ce qui n’exclut pas la présence dans les récits de personnages féminins parfois hauts en couleur.
(2). P. 177-183 : Œuvres, Corpus d’études, Études et articles. L’ensemble des œuvres répertoriées ici, dont l’auteur fournit de multiples extraits, va des Mabinogion gallois et des chroniques de Geoffroy de Monmouth et de son adaptateur normand Robert Wace, jusqu’à la compilation du chevalier anglais Thomas Malory, Le Morte d’Arthur, en passant par les romans courtois de Chrétien de Troyes, de Robert de Boron et des continuateurs anonymes ou non du cycle français du Lancelot-Graal. On peut regretter l’absence dans la bibliographie du livre Le Cortège du Graal. Du mythe celtique au roman arthurien de Valéry Raydon, paru en 2019, chez Terre de Promesse.
(3). Des clefs figureront plus tard sur le blason associé à Keu.
(4). Les Quatre Branches du Mabinogi et autres contes gallois du Moyen-Âge, traduit du moyen gallois, annoté et présenté par Pierre-Yves Lambert, 1993, Paris, Gallimard, « L’aube des peuples ».
(5). « Le Mabinogi de Branwen », in Les Quatre branches du Mabinogi… p. 57-76.
(6). Martin Aurell, La Légende du roi Arthur. 550-1250, 2007, Paris, Perrin, planche 1.
(7). Héraclès était identifié au dieu gaulois Ogmios, un porteur de massue tout comme son confrère Smertrios, un Tueur de Serpent.
La première version de ce compte-rendu a été
publiée le 11 février 2023 sur le site de la revue NMC : Nouvelle
mythologie comparée. J’en profite pour remercier Patrice Lajoye et Guillaume
Oudaer.
La neuvième vague et autres essais sur le légendaire celtique de Bretagne / Claude Sterckx. Marseille : Terre de Promesse, 2019. 191 p. (Au cœur des mythes ; 7). ISBN 978-2-9561503-3-6. 20 €.
Claude STERCKX est né en 1944 en Belgique. Celtisant et mythologue, il a enseigné aux universités de Bruxelles et de Charleroi, présidé la Société Belge d’Études Celtiques et dirigé la revue Ollodagos. Parmi les nombreux livres et articles qu’il a publiés, nous avons eu l’occasion d’apprécier : Éléments de cosmogonie celtique, 1986, Les mutilations rituelles des ennemis chez les Celtes préchrétiens, 2005, Mythologie du monde celte, 2009 et Mythes et dieux celtes, 2010.
Les
illustrations des première et quatrième de couverture, Manawyddan uab Llyr, sont
signées Erwan SEURE LE BIHAN.
Présentation
de l’éditeur : « Tout au long de sa carrière scientifique, le
mythologue et celtisant belge Claude Sterckx a consacré nombre de ses travaux à
l’identification et au décryptage des anciens mythes celtiques ayant inspiré
certains contes folkloriques, croyances populaires et récits hagiographiques de
la Bretagne. Ce livre rassemble huit des essais les plus notables de ce savant
sur cette matière celto-bretonne mise en lumière grâce au comparatisme
interceltique et indo-européen et offre l’opportunité de découvrir la celticité
de la Neuvième Vague, de saint Goëznou et de son bâton fourchu, de
l’engloutissement d’Is, de la légende de Locronan, ou encore du vénérable Tadig
Khoz. Ce recueil sterckxien se veut aussi une invitation à redécouvrir l’œuvre
de ce chercheur qui a reçu en 2006 le collier de l’Ordre de l’Hermine pour son
action en faveur de l’identité et de la culture bretonne. »
I. Lugus et la neuvième vague, pp. 9-42.
Partant
d’une expression du folklore breton, an
nogejoú, la « neuvième vague », l’auteur emmène le lecteur dans
un voyage dans les mythologies
irlandaise et galloise, autour de la figure panceltique du dieu Lug, de ses
avatars et d’autres divinités celtiques et indo-européennes.
II. Survivances
de la mythologie celtique dans quelques légendes bretonnes, pp. 43-58.
Claude
Sterckx étudie ici la correspondance entre la massue du dieu souverain
irlandais Dagda et le bâton fourchu de saint Goëznou, par le rapprochement avec
le maillet du dieu gaulois et gallo-romain Sucellos et le Mell Benniget de l’Ankou breton.
Massue, maillet ou bâton procurent la vie ou la mort et servent à délimiter un
espace sacré, ce qui leur confère un aspect cosmogonique.
III. Débris
mythologiques en Basse-Bretagne, pp. 59-68.
Où il est
encore question d’un bâton magique, d’un marteau et d’une nappe d’abondance
dans cet essai centré sur le conte Jozebig
ha Merlin. La nappe merveilleuse qui procure nourriture et boisson à
volonté est l’équivalent du chaudron du Dagda, quant au bâton magique, il
libère lorsqu’on l’invoque « quatre cavaliers, vêtus de bleu et armés
chacun d’un grand fusil » qui servent au héros à récupérer son talisman.
Claude Sterckx a inséré les deux versions française et bretonne du conte Jozebig ha Merlin et termine son article
en citant une aventure du Dagda, figurant dans le Livre de Leinster, fleuron de la tradition médiévale irlandaise,
dont la structure est très proche du récit breton.
Si le conte
breton a été recueilli au XXe, mais pourrait remonter au XIXe
siècle, d’où les fusils des quatre cavaliers vêtus de bleu, nous relevons pour
notre part que quatre cavaliers sont figurés sur deux chefs-d’œuvre de l’art
celtique, le fourreau de Hallstatt, Ve
siècle avant notre ère et le bassin de Gundestrup, Ier siècle
avant notre ère.
IV. De
Fionntan au Tadig Kozh : figures mythiques d’Irlande et de Bretagne, pp.
69-76.
L’auteur rapproche
ici les figures mythiques du druide primordial irlandais Fintan, du barde
gallois Taliesin et du prêtre breton Tadig Kozh, dont la légende a été
recueillie par Anatole Le Braz. Ces trois personnages sont littéralement des
Grands Anciens, les êtres les plus anciens du monde. Ils sont les dépositaires
de la connaissance universelle : « Tadig Kozh, lui, possédait tous les secrets de la vie et tous
les secrets de la mort. »
V. Traces
de mythes préchrétiens dans la légende de Locronan ?, pp. 77-86.
L’essai
comporte trois courtes parties : La circumambulation. Les Bovidés. Keben,
la corne cassée et la jument de Pierre.
Partant des
travaux de Donatien Laurent sur la Troménie de Locronan, cette procession
chrétienne, dont le symbolisme est probablement enraciné dans les croyances
celtes préchrétiennes, Claude Sterckx écrit : « Cette symbolique
paraît être la réitération d’un acteur créateur. » L’auteur convoque pour
sa démonstration le mythe irlandais, la
légende d’Héraclès en Gaule et même l’Inde védique, avec comme point commun, le
vol de bétail des bovidés et un périple correspondant à la création ou
recréation du monde ou d’un monde, à un rétablissement de l’équilibre cosmique,
compromis par les mauvaises actions d’un démon ou d’une « serpente »,
ici Keben, l’adversaire de Saint Ronan.
VI.
Rhiannon en Armorique, pp. 87-89.
Dans ce
court, trop court chapitre, Sterckx esquisse un rapprochement entre la célèbre
Rhiannon, héroïne des Mabinogion gallois et la bretonne Riwanon, mère de saint
Hervé.
VII. Les
deux bœufs du déluge et la submersion de la ville d’Is, 91-132.
L’auteur traite dans cet essai du thème du déluge et de la submersion par les eaux, celles d’une fontaine, d’un lac, d’un bras de mer ou de l’océan dans les pays celtiques, Irlande, Pays de Galles, Cornouailles et bien sûr Bretagne armoricaine, avec la très célèbre Keris. A ce thème sont associés dans les récits mythologiques, légendaires, hagiographiques et aussi les contes populaires, un certain nombre de personnages connus comme Dahut/Ahès, fille du roi Gradlon, de saints comme Corentin, Guénolé et de héros plus discrets comme Kristof, l’idiot qui déracine un grand chêne- arbre du monde- provoquant la submersion à retardement de la ville d’Is. On y rencontre aussi des animaux mythiques, des bœufs, comme ceux de Hu Cadarn, issus de la métamorphose de deux rois punis pour leurs fautes ou des chevaux dont l’urine provoque une catastrophe. Il fallait bien l’érudition de Claude Sterckx pour se retrouver dans ce dédale de récits parfois fragmentaires et dégager le sens du mythe celtique, parfois influencé, certain(e)s diront contaminé, par les récits bibliques du déluge et de la punition de Sodome et Gomorrhe, cités détruites par le feu venu du Ciel.
VIII. La
fondation de Rome et celle de la Bretagne, pp. 133-155.
Dans ce
dernier essai, Claude Sterckx étudie les parallélismes entre le mythe de la
fondation de Rome par Romulus (et Remus) et l’histoire de l’usurpateur Magnus
Maximus au IVe siècle, le Macsen Gwledig des récits gallois, et son
allié, le légendaire chef breton Conan Mériadec, féroce conquérant de
l’Armorique.
Le livre
comporte deux index et une très riche bibliographie.
Les derniers jours du siège d’Alesia : 22-27 septembre 52 av. J.-C. / Alain Deyber, David Romeuf ; préface de Yann Le Bohec. Chamalières (Puy-de-Dôme) : Lemme EDIT, 2019. 1 vol. (213 p.-XVI pl.) : ill. en couleur, cartes ; 20 x 14 cm. ISBN 978-2-917575-85-7. 21 €.
Alain DEYBER est docteur d’état en histoire et civilisation de l’Antiquité de l’Université Paris IV-Sorbonne, spécialiste d’histoire militaire des origines à nos jours et archéologue des champs de bataille [sites d’Alesia et d’Orange]. *
Ancien officier, l’auteur a été rédacteur au Service Historique de la Défense et professeur d’histoire militaire aux Écoles de Saint-Cyr-Coëtquidan. Il a publié de nombreux articles [certains sont accessibles sur le site https://www.academia.edu]. Ses deux livres, Les Gaulois en guerre. IIe-Ier siècles av. J.-C. (Actes Sud/Errance, 2009) et Vercingetorix, chef de guerre (Lemme Edit, 3e édition 2018.) sont considérés comme des ouvrages de référence.*
David
ROMEUF est ingénieur de recherches à l’Université Lyon 1. Il a développé des
instruments scientifiques pour différents observatoires et travaille sur
la mesure des courbes de rotation des
astéroïdes. Il participe aussi à des fouilles archéologiques en Auvergne [Corent]
et s’est spécialisé en archéoastronomie et dans les croyances antiques
associées. *
La
collaboration fructueuse de l’historien et de l’astronome a donné naissance au
présent travail : Les derniers jours
du siège d’Alesia : 22-27 septembre 52 av. J.-C. et pour l’anecdote, au
baptême d’un nouvel astéroïde, numéroté 52 963
et prénommé Vercingetorix, voir
l’épilogue signé David Romeuf.
Le livre
centré autour de cet épisode crucial de la guerre des Gaules (58-50 av. J.-C.) s’ouvre sur une courte préface du professeur
Yann LE BOHEC, spécialiste de l’armée et des guerres romaines. Le préfacier
insiste sur l’originalité du propos d’Alain Deyber et de son co-auteur David
Romeuf. Ceux-ci proposent une explication nouvelle à la défaite de l’armée de
secours d’Alésia survenue fin septembre 52 av. J.-C. Une éclipse totale de lune,
ayant eu lieu dans la nuit du 25 au 26 septembre 52 av. J.-C., pourrait avoir
provoqué l’échec de l’offensive de l’armée de secours et la reddition de celle
de Vercingetorix enfermée dans la
forteresse d’Alesia, réputée
inexpugnable.
Le livre est divisé en quatre chapitres, précédés d’une introduction signée par Alain Deyber, pp. 13-19.
Chapitre I. Faits
historiques et sources
par Alain Deyber, pp. 21-38.
Le chapitre
débute par un rappel des événements de la fin décembre 53, à Rome et de janvier
à août 52 av. J.-C. en Gaule, soit la révolte des Carnutes à Cenabum [Orléans], la coalition de la
Gaule celtique sous le commandement de l’Arverne Vercingetorix, le siège et la chute d’Avaricum [Bourges], la bataille de Gergovia et l’arrivée de l’armée de Vercingetorix dans la citadelle des Mandubii – les Mandubiens- à Alesia
(Côte-d’Or). Puis l’auteur résume la campagne d’Alesia jusqu’à l’arrivée de l’armée de secours. L’auteur combine
texte, tableaux et notes pour dire l’essentiel.
Alesia est bien
Alise-Sainte-Reine en Côte-d’Or : la polémique ridicule est close ! Vercingetorix utilise une nouvelle et
dernière fois la stratégie dite « de l’enclume et du marteau » et Alesia est bien un « abcès de
fixation » destiné à anéantir l’armée de César.
Chapitre II. La campagne militaire de l’armée de secours par Alain Deyber, pp. 39-63.
Cette partie traite du renvoi de la cavalerie de Vercingetorix avec pour mission de lever une grande armée de secours puis de l’arrivée de cette armée fin septembre à Alesia. Le conseil des chefs de la coalition peut-être déjà installé à Bibracte (Mont Beuvray) a refusé la mobilisation générale exigée par le chef arverne.
Alain Deyber
s’appuyant sur le texte de César, notre
principal témoin, étudie la composition de cette armée. Il remet en
question les chiffres des effectifs fournis par le proconsul, considérant à la
suite d’autres auteurs, que le total de 248 000 combattants (soit
240 000 fantassins et 8 000 cavaliers) n’a pu être réuni en quelques
semaines et évalue l’armée de secours à 178 000 hommes. Par comparaison Vercingetorix commandait à environ
80 000 guerriers d’élite dans Alesia
et César à une dizaine de légions amoindries (soit 50 000 à 60 000 légionnaires
sans compter les auxiliaires et les valets).
Pour ma
part, si l’argument de l’éloignement de certains peuples de la coalition qui ne
leur aurait pas permis de rejoindre à temps Alesia
est recevable, il n’en demeure pas moins que la présence de Commios, un des quatre chefs de l’armée
de secours, implique celle des Atrébates, venus d’Artois. De même, l’absence de
tel ou tel monnayage ne nous semble pas constituer une preuve absolue de la non
présence des contingents émetteurs. L’absence supposée des contingents
armoricains serait d’ailleurs en contradiction avec la fonction de chef
militaire des Lémovices et des Armoricains, attribuée au général lémovice Sedullus.
Comme le
rappelle Alain Deyber, historiens (et lecteurs) sont tributaires du récit
césarien et les choses sont rarement simples. Nul doute que les questions soulevées dans ce livre susciteront
des réflexions et des recherches nouvelles répondant au souhait exprimé par l’auteur.
Parmi les points très positifs de l’exposé, il faut noter qu’à la suite d’historiens spécialistes de l’histoire militaire comme Victor Davis HANSON et Yann LE BOHEC, Alain Deyber s’intéresse à la condition de l’homme de troupe : nourriture, santé, équipement, entraînement et au « facteur moral », qui peuvent changer l’issue d’un conflit. Il apparaît que la situation des combattants de Vercingetorix et des Césariens était très critique en cette fin septembre, et qu’ils étaient au bord de la famine ; ceux de l’armée de secours étaient probablement moins mal lotis, peut-être grâce au rassemblement de la grande armée sur le territoire des Éduens, à proximité de Bibracte ?
Laissons à
ce stade, le lecteur (virtuel) feuilleter le cahier illustré de 16
planches : cartes des lieux, vues aériennes du site de la bataille, schéma
des défenses linéaires romaines (contrevallation orientée vers l’oppidum d’Alesia, circonvallation orientée vers l’armée de secours, camps et
fortins), monnaies armes et schémas astronomiques.
Chapitre III. Pourquoi
la défaite de l’armée de secours à Alesia par Alain Deyber, pp. 65-106.
Le chapitre
propose une approche historiographique : comment on écrit l’histoire. Alain
Deyber analyse les thèses développées depuis le XIXe siècle jusqu’à
nos jours, depuis Henri d’Orléans, duc d’Aumale jusqu’à Yann Le Bohec en
passant par Camille Jullian, Christian Goudineau, Michel Reddé, Jean-Louis
Brunaux (les auteurs et leurs publications (trente deux titres !) sont
recensés dans la bibliographie en fin de volume.
L’auteur définit trois thèses dominantes. La
thèse complotiste. Celle de la trahison des Éduens est réfutée avec des
arguments convaincants. La thèse militaire. Le génie militaire de César n’est
pas exceptionnel, il est surtout le fruit d’une longue tradition remontant aux
Grecs, notamment la poliorcétique- l’art du siège. La thèse politico-militaire.
Le changement de stratégie de Vercingetorix,
passant, sous la pression des autres chefs de la coalition, d’une stratégie indirecte, avec la « tactique
de la terre brûlée » à un affrontement direct, frontal comme en témoignerait
la bataille de cavalerie précédant le repli sur Alesia. La mise en évidence de la stratégie de « l’enclume et
du marteau » répond à cette question.
L’auteur termine
le chapitre en rappelant les « grands oubliés du débat : les « principes
de la guerre et paramètres de la manœuvre », qui se subdivisent en une
succession de notions stratégiques et tactiques : économie des forces,
liberté d’action, surprise stratégique,
concentration des efforts, unité d’action et de commandement, forces
morales, renseignement tactique, puissance de choc et mobilité. L’auteur
considère qu’aucune de ces conditions du
succès n’a été vraiment réalisée.
Le lecteur
retiendra surtout que l’épuisement de troupes venues de loin, amoindries par
les combats menés de jour et de nuit, ayant précédé la dernière bataille, ont
dû entamer leur moral. Au choix politique et périlleux d’un commandement
collégial de l’armée de secours : quatre chefs, Commios l’Atrébate, Eporedorix
et Viridomaros, deux chefs Éduens
ralliés à Vercingetorix après
Gergovie et enfin Vercasivellaunos,
cousin du roi arverne, assistés d’un conseil de chefs, s’ajoute la décision
probable de réorganiser les troupes des cités, avec peut-être, le remplacement de
certains chefs par d’autres, ce qui allait à l’encontre d’habitudes séculaires.
Chapitre IV. Une
preuve irréfutable qui change tout : l’apport de l’astronomie par Alain Deyber et David Romeuf,
pp. 107-145.
Dans la nuit du 25 au 26 septembre 52 av. J.-C., une armée de 60 000 fantassins, des lanciers et des archers, commandée par l’Arverne Vercasivellaunos, secondé par le Lémovice Sedullus, quitte le bivouac de l’armée de secours, installé sur la montagne de Mussy, pour gagner lors d’une marche de nuit, le mont Réa situé au nord d’Alesia, en franchissant une rivière, la Brenne.
Ils
s’installent à couvert et, après quelques heures de repos, se lancent à
l’assaut, vers midi, du camp romain situé en contrebas, les lignes d’attaque se
succèdent tout au long de la journée, parvenant presque à percer les
retranchements romains.
Dans le même temps, le reste de l’armée de secours, infanterie et cavalerie, prend position en face de la circonvallation romaine, dans la plaine des Laumes, puis reste l’arme au pied, alors même que Vercingetorix lance ses troupes à l’assaut de la contrevallation, cherchant en vain à percer la ligne romaine, mais curieusement, sans se porter au nord pour soutenir l’attaque de Vercassivellaunos.
La suite
est connue, des renforts romains lancent une contre-offensive : cohortes de
Labienus d’abord, puis cavalerie auxiliaire germanique et enfin l’intervention
de César en personne brisent l’offensive
de Vercasivellaunos, qui ordonne la
retraite et se fait capturer. Son second Sedullus
est tué au combat. Le reste de l’armée de secours a déjà regagné son bivouac,
et quitte le site d’Alesia. Vercingetorix rappelle ses troupes dans Alesia. Et le lendemain, le 27 septembre
52 av. J.-C., à l’issue d’un conseil restreint, il est destitué et livré ainsi
que ses chefs à César.
Pourquoi le
gros de l’armée de secours n’est-il pas intervenu de toute la journée ainsi que
d’une partie de la nuit ? Dans ce dernier chapitre écrit à quatre mains,
Alain Deyber et David Romeuf proposent une explication convaincante.
Dans la
nuit du 25 au 26 septembre52 av. J.-C., nuit de pleine lune, se produit après
le départ du corps d’armée de Vercassivellaunos,
une éclipse totale de lune vers 22h31 ! La lune entre dans le cône d’ombre
de la terre provoquant une obscurité presque complète. Les phénomènes des
éclipses étaient connus des Anciens, qui réagissaient différemment selon qu’ils
appartenaient aux élites instruites ou au commun des mortels et des
combattants.
Les auteurs
analysent le retentissement qu’a pu avoir ce phénomène astronomique sur les
troupes en présence. Ils supposent la présence dans l’armée de secours de
membres de la classe sacerdotale, druides et devins, les uates, qui auraient eu connaissance de la venue de l’éclipse,
l’astronomie étant de leur ressort. Selon eux, les druides ou devins auraient
informé Vercasivellaunos de l’imminence de l’éclipse, ce dernier
l’aurait interprétée comme un présage favorable et l’aurait expliquée à ses
troupes particulièrement motivées, parce que bien entraînées. César aurait fait
de même auprès de ses officiers et de ses troupes.
A l’opposé,
l’annonce et le déroulement de l’éclipse auraient semé le trouble dans le reste
de l’armée de secours, le phénomène étant interprété comme un avertissement des
dieux, interdisant le combat le « lendemain »** et cette perception
aurait été partagée par les guerriers d’élite de Vercingetorix, épuisés et affamés. Ceux-ci n’auraient pas combattu
avec la même vigueur que leurs cousins menés par Vercassivellaunos et Sedullus.
La « thèse » de Deyber et Romeuf s’appuie sur des exemples connus de
l’histoire ancienne et sur une réflexion portant sur les rapports ténus entre
la religion et ce que nous nommons la superstition, ce concept étant déjà connu
notamment par Cicéron.
Les
principaux éléments de la conclusion ayant déjà été évoqués dans le
compte-rendu, je vous souhaite une bonne lecture de cet ouvrage qui devrait
faire date.
Jean-Paul
BRETHENOUX
* texte extrait
de la quatrième de couverture sauf [].
** les
Gaulois comptent les jours d’après la nuit qui précède selon César.
Le Cortège du Graal. Du mythe celtique au roman arthurien / Valéry Raydon. Marseille : Terre de promesse, 2019. 406 p. (Au cœur des mythes ; 6).
Né en 1973,
Valéry Raydon est docteur en histoire ancienne, chercheur indépendant et
écrivain. Il est l’auteur de Le mythe de
la Crau. Archéologie d’une pensée religieuse celtique, 2013, Héritages
indo-européens dans la Rome républicaine, 2014, Le
chaudron du Dagda, 2015, publiés
chez Terre de promesse. L’essai audacieux et très documenté que je vous présente
aujourd’hui s’inscrit dans la continuité des trois ouvrages précédents. Découpé en dix chapitres, le livre est pourvu
d’un index, d’une bibliographie et de notes infrapaginales que l’on peut lire
ou pas.
Valéry Raydon étudie dans ce livre l’histoire d’un jeune valet gallois, un peu niais, chassant avec son javelot dans la Gaste Forêt, qui va rencontrer trois chevaliers, quitter sa mère, et juché sur un cheval de chasse rejoindre la cour du roi Arthur, suivre un conseil perfide, tuer le Chevalier à l’armure vermeille, qui avait offensé Arthur et Guenièvre, revêtir la panoplie du chevalier, et enfourchant le destrier du vaincu, errer par monts et par vaux, jusqu’à arriver près d’un château mystérieux, celui du Roi Pêcheur, lequel l’invite à sa table.
Le jeune
chevalier voit passer devant lui un étrange cortège : un valet tenant à deux
mains une lance qui saigne, une jeune fille portant un récipient en matière précieuse,
lumineux, un graal, et pour finir un
troisième objet, un tailloir d’argent. Le jeune gallois ne pose aucune question
à son hôte. Le lendemain, le château et son hôte, le Roi invalide, ont disparu.
La Quête peut commencer…
Le lecteur aura reconnu dans ce bref résumé du roman, le Conte du graal, écrit vers 1180 par l’auteur champenois Chrétien de Troyes, la figure de Perceval, l’idiot promis à un destin exceptionnel. Celui-là même qui, lorsque commence l’aventure ignore tout et jusqu’à son propre nom.
Pourtant son
nom existe sous de nombreuses formes, à savoir respectivement, Perceval, Persavaus,
Parzival et Peredur, selon la version française de Chrétien de Troyes, occitane du troubadour
saintongeais Rigaud de Barbezieux, allemande
du chevalier bavarois, Wolfram von Eschenbach, galloise de l’auteur anonyme de
l’Historia Peredur ab Evrawc.
L’absence
de nom et sa conséquence, celui qui n’a pas de nom n’existe pas, a une importance
cruciale, à la fois dans l’immense corpus de la littérature arthurienne et dans
la perspective des origines du héros lui-même.
Les romans et contes traitant d’Arthur, du cortège du graal, du Roi Pêcheur, du graal et de la quête de Perceval ont connu de multiples continuations, le récit en vers de Chrétien de Troyes étant resté inachevé. Ce « to be continued » a eu un franc succès, tant chez les auteurs médiévaux écrivant, dans des dizaines de langues que dans l’art médiéval, sur les préraphaélites, la musique d’Henry Purcell, l’opéra de Richard Wagner, la BD, le cinéma, jusqu’à la télévision avec la série-culte Kaamelott d’Alexandre Astier.
Aux premières versions, ont succédé des continuations de plus en plus christianisées, notamment au XIIIe siècle avec Robert de Boron. Pour faire simple, La lance sanglante du cortège est devenue la Sainte-Lance, et le graal, le Saint-Graal, à la fois, écuelle de la Cène et calice ayant recueilli le sang du Christ ; le tailloir, un plat servant à découper la viande, n’a pas intéressé grand monde.
Les savants se sont penchés pendant des siècles sur le mystère du graal, essayant de l’éclaircir. De multiples interprétations, des pistes divergentes ont surgi, résurgence en plein moyen Age d’un rituel ésotérique oriental, transposition de la liturgie de la messe byzantine ou adaptation des Métamorphoses d’Ovide.
Valéry Raydon aime suivre de multiples pistes et c’était pour lui l’occasion de réfuter les fausses, celles qui mènent dans une impasse, et d’en ouvrir patiemment de nouvelles. Raydon le Provençal s’est souvenu que Perceval était gallois et que lorsqu’on parle de littérature arthurienne, on évoque la Matière de Bretagne, cette Grande Bretagne si proche de l’Irlande.
Il est donc reparti sur une vieille piste, broussailleuse, souvent raillée, celle qui rattachait l’histoire de Perceval aux récits de transcription médiévale des littératures celtiques insulaires, galloises et irlandaises. Usant de la méthode dite du « comparatisme structural dumézilien », il a réussi à établir de manière convaincante que le cortège du graal, les trois objets sacrés, la lance qui saigne, le graal et le tailloir forment non seulement un ensemble structuré, mais renvoient aux « insignes de la souveraineté celtique ».
Des objets sacrés très proches des récits arthuriens existent dans les littératures celtiques, notamment les quatre talismans des Tuatha Dé Danann, la Pierre de Fâl, commune aux dieux irlandais, le Chaudron du Dagda, l’Épée de Nuada et la Lance de Lug. C’est sur cette lance terrible que Valéry Raydon a concentré ses efforts. Une lance flamboyante, brûlante, capable de contrôler le cosmos et de le détruire. Cette lance a des correspondances dans les récits arthuriens et dans les contes gallois mis par écrit au Moyen Age et racontés jusque sur le continent par des récitateurs gallois, comme le fameux Bleheris, pratiquant le latin et le dialecte anglo-normand, le français des Plantagenêt.
Un objet sur trois peut emporter l’adhésion ou pas. Le deuxième objet qui donne son nom au récit est le graal, lequel a fait couler beaucoup d’encre. Une de ses caractéristiques, en dehors de son aspect de luminaire, est qu’il procure, à chacun et selon son rang, de la nourriture à foison, Chrétien a un peu escamoté ce rôle. Les continuateurs l’ont développé et c’est ainsi que Valéry Raydon a repris les recherches sur les connexions entre le graal et les chaudrons, coupes, vases et récipients merveilleux des mythes, légendes et contes celtiques. Le résultat est là aussi très convaincant. Quant au troisième objet le tailloir délaissé, c’est avec l’histoire galloise de Peredur que le lien s’établit.
La correspondance d’objets aussi fascinants soient-ils ne suffirait pas à valider le discours de Valéry Raydon. Cela doit aussi fonctionner avec les personnages. Perceval et le Roi Pêcheur ont-ils un lien avec le dieu irlandais Lug ? Ce dieu panceltique nommé Lug en Irlande, Lugus en Gaule et en Espagne et Lleu Llaw Gyffes au Pays de Galles. L’enfant, maudit par sa mère qui l’a condamné à ne pas avoir de nom, d’armes et d’épouse, les obtient dans le récit gallois. Blessé mortellement par une lance « magique », changé en aigle, il recouvrera son apparence et pourra accomplir sa vengeance en tuant son rival avec la même lance « fatale ».
La
connexion que l’auteur établit entre la figure unique du Lug gallois et celle de deux figures distinctes, celle de Perceval-Peredur
et celle du Roi Pêcheur-Méhaigné, peut surprendre et ne pas emporter
l’adhésion. L’interprétation par la théorie du dédoublement de la figure du dieu Lug pourrait sembler artificielle et semer le doute. Ce serait oublier que, d’une
part les dédoublements de personnages sont assez fréquents lors du passage du
mythe à l’épopée, et que d’autre part, chez les continuateurs de Chrétien, la guérison
du Roi Pêcheur entraîne la restauration de la souveraineté, laquelle se transmet au héros.
L’auteur démontre
que c’est bien Chrétien de Troyes qui a créé le dédoublement, et de fil en
aiguille, postule que Chrétien de Troyes et Wolfram von Eschenbach se sont
abreuvés à une source unique, aujourd’hui perdue, un roman gallois en prose racontant
les Enfances deLleu Llaw Gyffes.
Le mythe de la Crau. Archéologie d’une pensée religieuse celtique / Valéry Raydon ; préface de Marco V. García Quintela. Marseille : Terre de promesse, 2013. 183 p. (Au cœur des mythes ; 1).
Né en 1973, Valéry Raydon est docteur en histoire ancienne, chercheur indépendant et écrivain. Il est l’auteur de Héritages indo-européens dans la Rome républicaine, paru en 2014, Le chaudron du Dagda, en 2015 et de Le Cortège du Graal, Du mythe celtique au roman arthurien, sorti en 2019, tous chez Terre de promesse.
Ce petit livre, découpé en huit chapitres courts, s’ouvre sur la préface du professeur Marco V. García Quintela, auteur de l’excellent, Dumézil. Une introduction, paru aux Éditions Armeline, 2000. M. García Quintela définit la démarche de Valéry Raydon comme relevant d’une «application de la méthode comparative dumézilienne». Le domaine d’application est explicité par le titre de l’avant-propos, Comment (bien) appréhender la religion gauloise ?
Un mythe « grec », rapporté par Strabon, s’appuyant lui-même sur un passage du Prométhée délivré du poète dramaturge Eschyle, évoquait une aventure d’Héraklès dans la plaine de la Crau. Partant de ce « sujet mineur », en apparence, V. Raydon confirme, s’il en était besoin, l’existence d’une religion gauloise/celtique conforme à un héritage indo-européen commun, structurée, possédant un corpus de mythes et un panthéon organisé.
César en a fourni la liste, en attribuant des noms romains à six grandes divinités gauloises, partageant les fonctions et le domaine d’activité de « Mercure, Apollon, Mars, Jupiter, Minerve et Dis Pater ». Ce panthéon trouve des correspondances dans l’Irlande préchrétienne et au Pays de Galles.
Revenons à nos moutons, ou plutôt aux bœufs de Géryon, Héraclès se rendant en Espagne, ou s’en retournant, traverse la Provence et se heurte violemment aux Ligures. Ayant épuisé ses flèches, le héros implore l’aide de son père Zeus, lequel fait pleuvoir une pluie de pierres sur la plaine, qui en était dépourvue. Héraklès utilise les pierres tombées du ciel pour vaincre les Ligures.
Au fil des chapitres, le lecteur, d’abord curieux, parfois sceptique, puis, de plus en plus convaincu par la démonstration argumentée de l’auteur découvre :
Le mythe de la Crau chez les auteurs anciens, 2. Un mythe aux consonances celtiques, 3. Réminiscence du mythe de l’écroulement du ciel dans deux écrits hagiographiques de la Gaule chrétienne, 4. L’Héraklès de la Crau et l’Ogmios gaulois.
Là, tel Héraclès fatigué après son terrible combat contre les Ligures, le lecteur fait une pause et récapitule.
Le mythe grec aux nombreuses variantes est un mythe gaulois et celtique, la thématique de la pluie de pierres tombée du ciel rejoint la croyance celtique des Celtes redoutant que le Ciel (et le monde avec) ne s’effondre*, le témoignage de Lucien de Samosate sur l’assimilation d’Héraklès à Ogmios. Lequel a pour homologue le dieu irlandais Ogme/Ogma, champion des dieux, lanceur de pierres, dieu-lieur, maître de la magie et de l’éloquence.
À peine reposé, le lecteur est projeté pendant la guerre des Gaules, et observe, saisi d’effroi, les Gaulois et les Belges, déverser une pluie de pierres, de balles de fronde en pierre, en argile rougie au feu et lancer des javelots enflammés, sur les légions et les forteresses des alliés de César, 5. Mythologie lugienne et rituel poliorcétique en Gaule. Un autre dieu panceltique attesté en Gaule, en Espagne, en Irlande et au Pays de Galles vient de s’associer à Ogmios, il s’agit de Lugus, Lug, Lugh, LLew, maître des lances et des javelots et aussi de l’orage, ce qui pourrait permettre l’identification avec Taranis, « le Tonnant », le Jupiter gaulois de la liste de César.
Enfin, Valéry Raydon rappelle qu’Héraklès/Ogmios était considéré par les Anciens comme le fondateur d’Alésia et le père de la « nation » celtique. 6. Ogmios et les autres exploits d’Héraklès en Gaule. 7. L’ethnotype gaulois et le modèle ogmien. 8. Héraklès-Ogmios, le Dis Pater gaulois ? On notera le point d’interrogation dans le titre du chapitre.
Nul doute que les propositions aussi novatrices que surprenantes de Valéry Raydon finiront par emporter l’adhésion du lecteur. Lug–Taranis, Ogmios–Dis Pater, même combat ?
Jean-Paul BRETHENOUX.
« … Alexandre reçut une députation des Celtes de l’Adriatique chargée de conclure avec lui un pacte d’alliance et d’amitié. Il fit à ces Barbares le plus cordial accueil, et, dans la chaleur du festin, se prit à leur demander ce qu’ils redoutaient le plus au monde, croyant bien qu’ils allaient prononcer son nom ; mais leur réponse fut qu’ils ne redoutaient rien que de voir le ciel tomber sur eux que, du reste, ils attachaient le plus haut prix à l’amitié d’un homme tel que lui. » Strabon. VII. 3.
Cuchulainn. Tome 1, Trois corneilles. D‘après La courtise d’Emer / Ronan Seure-Le Bihan. Les Éditions du Nemeton 2018. 80 p.
Ronan Seure-Le Bihan est un jeune auteur de BD, qui a assuré l’ensemble de la conception et de la réalisation (scénario, textes, dessins et couleurs), de cet album sorti en juin 2018, suite à une levée de fonds. Il fallait de l’audace pour oser adapter en BD, l’histoire de Cuchulainn, le grand héros d’Eriu, l’Irlande païenne, protagoniste de La razzia des vaches de Cooley et d’autres récits comme Les enfances de Cuchulainn, La courtise d’Emer, La mort de Cuchulainn.
Fils de Sualtam et du grand dieu Lug, (pour ne rien dire de son oncle Conchobar, roi des Ulates), l’enfant prodige Setanta, âgé de 7 ans, tue un horrible molosse, le chien du forgeron Culann, gagnant ainsi son deuxième nom, Cuchulainn, le chien de Culann.
Devenu un jeune homme, il courtise la belle Emer ; son futur beau-père l’envoie en Alba, l’Écosse, pour suivre une formation dans tous les arts, ce qui inclut la guerre et la magie, en espérant qu’il y laissera sa peau.
Ses formateurs seront des formatrices, Scatach et Uatach, la mère et la fille, qui vont se charger de l’éducation guerrière, magique et sexuelle du héros, chacune lui prodiguant l’amitié de ses cuisses !
Cuchulainn va vivre des aventures violentes, rencontrer le héros Ferdiad, à la peau de corne, et la belle Aife, la troisième guerrière.
Si l’on veut situer Cuchulainn au sein des littératures celtiques et indo-européennes, il est l’équivalent d’Achille chez les Grecs, du héros Batraz chez les Ossètes du Caucase, ou plus près de nous dans l’espace et dans le temps, de Sigurd / Siegfried ou de Roland, neveu de Charlemagne.
La gageure relevée par Ronan Seure-Le Bihan est d’avoir réalisé un album, qui s’adresse autant à l’amateur de BD qu’au connaisseur de l’épopée et de la mythologie irlandaise. On ressent une forte influence des comics au niveau du trait et des cadrages, ici peu de ligne claire, du genre Tintin chez les Ulates.
Lors de la publication de quelques planches sur Facebook, des voix, une en fait, s’est élevée pour dénoncer “la laideur et la vulgarité » du graphisme, allant jusqu’à contester la possibilité d’adapter un récit épique ou mythologique en BD. Si les aventures de Cuchulainn étaient un récit sacré pour les Irlandais païens et même chrétiens, un auteur moderne a parfaitement le droit moral de l’adapter pour le faire connaître, dès l’instant où il ne dénature pas le mythe. Les couleurs sont vives, parfois criardes, elles tournent aussi à la douceur pastel. Les scènes violentes sont nombreuses, mais conformes à l’atmosphère de l’épopée irlandaise.
Ronan Seure-Le Bihan a su utiliser les sources médiévales et la documentation archéologique pour recréer un univers visuel cohérent, comme en témoignent les chars de guerre tirés par deux chevaux, les panoplies issues des deux âges du Fer celtiques, et les costumes et coiffures des personnages qui sont très réussis.
Le récit mêle scènes d’action et passages oniriques, où interviennent les dieux celtes, Lug, Dagda, Ogme et les déesses Morrigan, Bodh, Macha, les Trois Corneilles du titre de la BD.
Le lecteur découvrira aussi avec plaisir les auxiliaires du héros, Dolb et Indolb, deux habitants du Sid, l’Autre-Monde irlandais, présents dans La razzia des vaches de Cooley.
La Razzia des vaches de Cooley / traduit de l’irlandais ancien, présenté et annoté par Christian-J. Guyonvarc’h. Gallimard, 1994. (L’aube des peuples).
La Rafle des vaches de Cooley : récit celtique irlandais / traduit du moyen irlandais, présenté et annoté par Alain Deniel. L’Harmattan, 1997.