Akinakès. Une histoire des épées divines de Iaroslav Lebedynsky

Akinakès. Une histoire des épées divines / Iaroslav Lebedynsky. Lemme Edit, 2024. 187 p.

Site de l’éditeur : https://lemmeedit.com/boutique/hors-collection/hors-collection-moyen-age/akinakes/

Né à Paris en 1960, Iaroslav Lebedynsky enseigne l’histoire de l’Ukraine à l’Institut national des langues et civilisations orientales de Paris. Il a signé et cosigné de nombreux ouvrages. Voir sa bibliographie sur Wikipédia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Iaroslav_Lebedynsky

Résumé du livre et présentation de l’auteur en quatrième de couverture.

Table des matières.

Introduction. 7

Prologue : le dieu-épée hittite de Yazilikaya. 11.

I. L’icône de fer des Scythes. 15

II. Le culte du dieu à l’épée chez les Sarmates et les Alains. 29.

III. Les traces archéologiques. 35.

IV. L’héritage caucasien. 59.

V. Attila et le glaive de Mars. 79.

Cahier illustré. I-VIII.

VI. Comparaisons eurasiatiques. 91.

VII. Les épées du « Roi Arthur ». 129.

      Conclusion. 149.

      Annexes. 159.

      Bibliographie. 171.

Ce livre de Iaroslav Lebedynsky est une invitation au voyage à travers le temps et l’espace. Les chapitres courts promènent le lecteur de l’empire hittite (vers 1215 av. J.-C.) au Moyen Age occidental, et de la Bretagne insulaire au Japon, en passant par l’Ukraine, le Caucase, l’Oural, la Perse, la Chine… Au commencement était Hérodote d’Halicarnasse. L’historien grec (Ve siècle av. J.-C.) est le premier à écrire sur l’Arès scythe, terrible dieu de la guerre, dont on ignore le nom ethnique, représenté, presque incarné par une épée plantée sur un grand bûcher (auquel on ne met pas le feu !), l’akinakès sidéreos arkhaîos = « un vieil akinakès de fer ». Cette épée courte commune aux nomades scythes et sarmates et aux Perses sédentaires est arrivée jusqu’en Chine.

« L’enquête » de l’auteur se poursuit chez les Sauromates, Sarmates et Alains, à la fois successeurs et héritiers des Scythes. Après un chapitre dédié à l’archéologie, plein de tertres, de kourganes, de statues anthropomorphes, d’épées, de sabres et de poignards, l’auteur aborde aux rives du Caucase, lieu de refuge des Alains et de leurs descendants les Ossètes.

Ces derniers ont transmis sous forme de contes une épopée centrée sur une confrérie de héros, les Nartes dont le plus célèbre est Batradz (Note 1), un guerrier ombrageux, violent, « dont le corps est une lame d’acier trempé » ! Le destin de ce héros se confond avec celui de son épée et plonge ses racines dans un fonds très ancien remontant au passé indo-européen. L’épopée des Nartes a été étudiée par Georges Dumézil, le maître des études indo-européennes, et ses continuateurs, Georges Charachidzé et Joël H. Grisward.

Viennent ensuite Attila et le « glaive de Mars », ce dernier vu sous l’angle de l’épée d’investiture, statut qu’il partage avec l’épée d’Arthur. Puis suivent des comparaisons entre données iraniennes et européennes médiévales, incluant la scandinave Gramr, l’épée de Sigurd/Siegfried, un cadeau empoisonné du dieu Odin. Enfin, l’auteur aborde les « épées d’Arthur », dont la très célèbre Excalibur et questionne l’origine de la légende, en réexaminant la piste sarmate. Bien avant « l’époque d’Arthur », des Sarmates danubiens, vaincus en 175 par l’empereur Marc Aurèle, sont intégrés dans l’armée romaine en tant qu’auxiliaires de cavalerie. Ils servent en Bretagne insulaire (et peut-être en Armorique). Les Romains (et les Germains) auraient emprunté aux Sarmates leur enseigne, un draco (une tête de dragon en métal munie d’une manche à air), qui serait devenue (ou pas) le dragon des Pendragon ? « Par exemple, la légende et l’iconographie attribuent à Arthur une bannière au dragon et son père se nomme Uther Pendragon, littéralement « chef-dragon », « tête-dragon. » (Note 2)

Se référant notamment aux recherches de Martin Aurell, Marcel Brasseur,  Alban Gautier et Justine Breton, et sans rejeter la piste sarmate, l’auteur se concentre sur le thème de l’épée tirée du rocher (du perron, de l’enclume) et de sa jumelle, l’épée offerte par une fée et jetée à la mer (ou dans un lac), deux localisations de l’île d’Avallon où Excalibur aurait été forgée selon L’Histoire des Rois de Bretagne de Geoffroy de Monmouth. L’auteur cite aussi Le Songe de Rhonabwy et Cullwch et Olwen, deux récits des Mabinogion, un recueil de contes gallois de transcription médiévale, transmettant un vieux fonds celtique, où figure l’épée d’Arthur sous le nom gallois est Caledwlch = « dure-entaille ». (Note 3.)

Outre les récits de Robert de Boron, l’auteur mentionne plusieurs romans arthuriens français, préférant La Mort le Roi Artu, du XIIIe siècle, dernier opus du cycle du Lancelot-Graal à la grande compilation de l’Anglais Thomas Malory, Le Morte Darthur, écrite à la fin du XVe siècle.

En comparant un conte ossète recueilli en 1875 en Ossétie, lequel narre la fin d’un Batradz lassé de la vie, à la scène du roman français, dans laquelle Girflet, après plusieurs fausses tentatives, se résout enfin à jeter Excalibur, l’auteur montre les similitudes et les différences concernant le sort des deux épées magiques et de leurs possesseurs respectifs, ce qui s’accompagne de prodiges : Batradz, le héros d’acier, ne peut mourir que si son épée disparaît avant lui dans les eaux, la Mer Noire en deviendra rouge ! Arthur agonisant sait qu’Excalibur doit rejoindre les eaux d’où surgira la main pour la brandir ; grâce au geste plusieurs fois retardé de Girflet, il est dès lors prêt à s’embarquer dans la barque d’Avallon. Dans les deux récits, les auxiliaires ou compagnons, les Nartes d’un côté, Girflet (ou Bedivere selon d’autres versions), cherchent à tromper le héros ou le roi, laissant croire que l’épée a bien été engloutie. C’est le récit du prodige qui proclame la vérité de l’acte !

Pour conclure, on ne peut que conseiller la lecture de ce livre sérieux, documenté et agréable à lire, traitant dans un style alerte un sujet complexe, en conservant un minimum de noms ethniques et de termes techniques, tranchant parfois les hypothèses, mais sans assommer pour autant le lecteur ! Jean-Paul Brethenoux

Note 1. Le père de Batradz est un Narte. Sa mère appartient au peuple des Donbettyr, des génies des eaux, chez qui le héros sera en partie élevé. L’analogie « aquatique » entre Donbettyr et la dame du Lac s’arrête à l’apparence physique : la mère de Batradz vit sur terre sous l’apparence d’une grenouille !

Note 2. Une enluminure du XIIIe siècle montre un Merlin chevauchant avec les chevaliers de la Table Ronde et brandissant son draco.

Note 3. On pourrait ajouter à la riche bibliographie, rassemblant livres, articles, mémoires et catalogues d’exposition, publiés en français, en anglais et dans d’autres langues, notamment d’Europe de l’Est et du Caucase, les deux traductions françaises des Mabinogion : Joseph Loth, Les Mabinogion du Livre Rouge de Hergest avec les variantes du Livre Blanc de Rhydderch, Paris, Fontemoing, 1913, 2 tomes, et Pierre-Yves Lambert, Les Quatre Branches du Mabinogi et autres contes gallois du Moyen Âge, Paris, Gallimard, 1993 (L’aube des peuples).

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