Reconstitution historique et photographie.
Conférence illustrée de Yann Kervran, le 9 juin 2013 à Cassinomagus Parc archéologique.
Yann Kervran est photographe, conseiller historique, médiateur culturel, reconstituteur médiéviste et romancier. Depuis février 2013, Cassinomagus accueille une exposition de ses photos de reconstitution : une première au plan national par la qualité et le nombre de photos présentées et aussi la durée de l’exposition qui sera prolongée jusqu’en 2014.
1 Définition de la reconstitution historique et archéologique
Yann Kervran commence par définir la reconstitution historique et ses relations avec l’archéologie expérimentale et la médiation culturelle. Des gens ordinaires fabriquent du matériel, des équipements, des costumes et vont les mettre en œuvre, en scène.
La reconstitution moderne naît dans les années 1960 et traite de périodes historiques différentes. Elle sert parfois à commémorer un événement historique, c’est le cas du reenactment anglo-saxon. On reconstitue en Angleterre, la bataille d’Hastings en 1066 ou en Russie, la victoire d’Alexandre Newsky sur les Teutoniques.
Les premiers reconstituteurs sont des collectionneurs d’objets : époque napoléonienne, Première guerre mondiale. Ceux qui travaillent sur l’Antiquité fabriquent ou acquièrent des copies. La période médiévale est liée au monde du spectacle en France et à l’éducation populaire aux Etats-Unis. Les reconstitutions de batailles suscitent l’adhésion du public : on siffle Guillaume à Hastings et le maître teutonique en Russie. Le spectacle peut englober une chronologie longue comme la Cinéscénie du Puy du Fou. Le reconstituteur peut s’agréger à une troupe ou créer seul un personnage : un notaire du XVe s. avec son écritoire. Yann Kervran insiste sur le lien empathique. On incarne un personnage ou plusieurs puisque certains font du multi périodes.
Si la reconstitution est marquée par les militaria, la chose militaire, elle peut aussi s’appliquer au monde rural, comme la ferme de Xaintrie (Corrèze) avec ses paysans apiculteurs du XIIIe s. ou au monde de l’enfance avec des jouets de la même période reconstitués par une mère de famille. La reconstitution peut traiter de périodes récentes : les grèves intervenues dans les années 1980 sous le gouvernement Thatcher.
Cela présuppose une recherche documentaire sérieuse, parfois même pointue, les sources étant indissociables de la démarche. La reconstitution en tant qu’évènement public sert à valoriser des sites archéologiques : Saint-Romain-en-Gal, Grands jeux de Nîmes. La reconstitution devient un produit culturel qui commence à intéresser les media et la télévision.
Certains pratiquent l’histoire vivante, en se concentrant sur le costume, la gestuelle. Ces pratiques peuvent être réservées aux seuls reconstituteurs en immersion le temps d’un week-end ou être ouvertes au public. La reconstitution opère au niveau social un brassage républicain éminent et salutaire. Une troupe peut réunir autour d’une même passion différentes professions : enseignant, maçon, gendarme, comédien, cariste, cantonnier… Des individus ont acquis au fil du temps des connaissances, de l’expérience et une capacité de parler au public d’histoire et d’archéologie, de dialoguer entre eux et d’échanger facilement avec le public. On parle plus facilement à une personne en costume dans un cadre souvent festif, comme si le port du costume levait bien des blocages de type scolaire ou universitaire. Le costume n’est pas forcément obligatoire dans le cas de l’archéologie expérimentale où l’on va tenter de recréer des gestes techniques, des chaînes opératoires : métallurgie, tissage, utilisation du tour de potier. Des interactions se développent entre musées, archéologues et reconstituteurs.
Le reconstituteur veille à l’adéquation de son discours avec le public. Son action sert le travail de mémoire : comme figurer dans les commémorations de la guerre de 14/18. La reconstitution permet de rendre vivant des lieux historiques, archéologiques, facilite leur réappropriation par le public local et aide à la connaissance du patrimoine.
La reconstitution a aussi ses travers : notamment le risque de repli identitaire ou de projection fantasmatique sur une période, un personnage. Ou encore l’approche caricaturale d’une période ou d’un type de personnage par manque de sources ou de recherche documentaires. Croyant faire du médiéval, on produit un ersatz assez médiocre. Dans un autre registre, la question de l’implication physique, sportive, se pose pour ceux qui pratiquent le combat, l’équitation. Jusqu’où peut-on aller ?
2 L’approche photographique
Yann Kervran livre une partie de sa démarche. Utiliser des focales longues, sans flash à distance et privilégier une approche naturaliste, comme pour la photo animalière*. Rappelons que la reconstitution met parfois à contribution des animaux dressés que Yann Kervran a photographiés : chevaux des Ambiani, des Portes de l’histoire ou éléphante de Carthago.
Yann Kervran se veut fidèle à l’image que les reconstituteurs se font de leur « travail », la plupart étant des bénévoles. Certains clichés surexposés privilégient le fond par rapport à la forme, il s’agit de saisir un instant de vie.
Cela n’exclut pas des séances de portraits en studio avec Les Ambiani ou la Legio VIII Augusta, des mises en scène : banquet dans le triclinium de Montans, présentation de tissage à Coriobona, le village des Gaulois d’Esse ou levée de la dîme dans la ferme de Xaintrie.
3 La marche Autun-Bibracte-Alésia de la Legio VIII Augusta
De 2010 à 2012, la troupe Legio VIII Augusta a effectué une marche expérimentale reliant Autun, Bibracte et Alésia, soit une distance de 120 km parcourue par un groupe de 8 hommes accompagnés de 2 mulets. Chaque légionnaire portait environ 40 kg d’équipement. Une des raisons de l’expérimentation était de savoir comment gérer le matériel, armes, boucliers, outils et bagages personnels. Pour le photographe, il s’agissait de se faire accepter et de prendre des clichés alors que les reconstituteurs sont fatigués, qu’ils peuvent éprouver une gêne à être pris en photo à ce moment-là.
La première année, Yann Kervran a accompagné le groupe de marcheurs une journée seulement, puis une semaine l’année suivante, faisant des repérages au GPS. Des liens se sont créés avec les légionnaires de la VIIIe. Les images de reconstitution dans un cadre naturel créent aussi des liens avec les collectivités locales, servent à la promotion du Morvan et de la Bourgogne. La présence des reconstituteurs permet d’animer de façon ponctuelle des sites archéologiques en partenariat avec l’Inrap et remporte aussi l’adhésion des populations locales, d’abord intriguées puis franchement enthousiastes.
Yann Kervran conclut en insistant sur le brassage républicain, les échanges transversaux entre reconstituteurs travaillant sur différentes périodes et l’ouverture vers le grand public.
Bibliographie :
La vie d’un guerrier gaulois / texte Ludovic Moignet, photos Yann Kervran. Calleva, 2011. (Reporter du temps)
Autun-Bibracte-Alésia : L’aventure de la marche expérimentale romaine / texte Legio VIII Augusta, photos Yann Kervran. Calleva, 2013. (Reporter du temps)
*Aucun reconstituteur n’a été maltraité pendant les prises de vues.
© texte, Jean-Paul Brethenoux ; photos Jean-Paul Brethenoux ; Yann Kervran ; couvertures livres Calleva éditions.