Ta mort sera la mienne

Ta mort sera la mienne

Ta mort sera la mienne / Fabrice Colin. Sonatine Éditions, 2013. 346 p. ISBN 978-2-35-584-179-8. 20 €.

Mon résumé :

Dans le motel de Red Cliffs Lodge, au bord de la rivière Colorado, près de la ville de Moab, dans l’Utah, a débuté un séminaire de littérature pour étudiants californiens : discussions, écriture, piscine et confort…

Parmi eux, Jillian et Karen Emerson, sa conseillère d’éducation, réfugiées dans une chambre, scrutent l’obscurité, sursautent à chaque détonation. Parce que le massacre a déjà commencé et qu’Il les cherche. Armé d’un fusil à pompe, un motard casqué abat chaque étudiant, chaque personne traversant son champ de vision. Les secours pourraient arriver de Grand Junction dans l’état voisin du Colorado. Même si les téléphones ne fonctionnent plus, les flics ont reçu la copie d’un mail. Donald Crossen, 59 ans, bientôt à la retraite, est prévenu. Il connaît les lieux, il va faire son devoir… «Because you’re mine, I walk the line.»

« Il existe deux sortes de livres, déclarait Elaine. Ceux qui entendent vous rassurer, et ceux qui creusent votre peur en vous montrant la vie telle qu’elle est. »

Le lecteur de Ta mort sera la mienne, deuxième thriller de Fabrice Colin publié chez Sonatine Éditions, après Blue Jay Way, sait très vite, dès les premières pages, à quoi s’en tenir. Avant de rédiger ce compte-rendu, j’ai parcouru plusieurs recensions de Ta mort sera la mienne, en liens sur la page Facebook du roman. Thriller, roman noir, western, récit ésotérique, héros anti christique…, le roman est tout cela et plus encore.

Quelque mots sur l’écriture et la structure : trois personnages, trois personnes grammaticales : je, tu, elle. Donald, Troy, Karen, trois destins enchevêtrés se rejoignent dans un paroxysme de violence. Le récit est complexe, oscillant entre narration linéaire et flashback récurrents, obsessionnels. Le style est sobre, nerveux, efficace, totalement maîtrisé. Fabrice Colin vise juste. On ne lâche pas le livre une fois commencé, tellement la tension est forte.

Une bande-son éclectique accompagne une narration haletante et convulsive : Amy Winehouse, The Who, Billie Holiday, Nina Simone, Bowie et ce bon vieux Johnny Cash… De la musique très cool et des scènes dures, parfois insoutenables. Ce qui frappe, c’est la charge émotionnelle assortie d’une vision, celle d’une Amérique violente, hallucinée et mythique.

Chaque lecteur applique consciemment ou non ses propres grilles de lecture. Sans vouloir tenter une comparaison terme à terme qui serait abusive, deux livres me viennent à l’esprit. D’abord, Sur la route de Jack Kerouac, où de jeunes marcheurs, poètes fous et prophètes en devenir, cherchaient l’or au pied de l’arc-en-ciel.

Le second moins connu, malgré son titre emprunté aux Rolling Stones, est le premier  roman autobiographique de Kent Anderson : Sympathy for the devil. Un étudiant en littérature s’ennuie dans son campus : il s’engage dans l’armée et rejoint le Vietnam et les Bérets Verts. Il découvre la guerre, l’enfer et surtout commence à percevoir la réalité d’une Amérique qui exerce moins son impérialisme qu’elle ne cherche à imposer son mode de vie, l’American Way of Life. Lequel est fondé sur une altération de la relation primordiale de l’homme avec le monde.

Quel rapport avec Ta mort sera la mienne ? Le roman s’inscrit dans une continuité. Fabrice Colin nous raconte l’Amérique d’après. Celle des années 1980 à 2012, avec le 11 septembre en filigrane, une Amérique qui saigne de l’intérieur !

Fabrice Colin nous rappelle avec une insistance subtile que ce pays s’est bâti sur le génocide des Amérindiens. Donald, une sorte de John Wayne, obèse et alcoolique, en quête de rédemption, commande ses policiers, des Navajos. Le cadre où furent tournés de nombreux westerns est majestueux, grandiose, primordial, avec ses montagnes ocre rouge, ses canyons et ses plaines ventées.

Les mesas sont les temples d’anciens dieux oubliés. Les cris des coyotes retentissent la nuit, dans le désert sec et froid, planté de cactus. L’homme doit préserver le hozho, terme navajo désignant l’équilibre qui équivaut au dharma bouddhiste des Tibétains. On songe aux Clochards célestes de Kerouac…

Sauf que de l’autre côté, là-bas, où sont arrivés les Blancs, la bible d’une main et le fusil de l’autre, il y a la Floride et son chapelet d’îles, les Keys. Un monde chaud et humide, des îles paradisiaques, antédiluviennes, peuplées de cerfs, de pélicans, de singes hurleurs et de crocodiles aux yeux emplis de gratitude.

Troy est né dans une de ces îles, où de faux gourou mêlant des versions adultérées du christianisme et du bouddhisme, ont perverti le dharma et engendré le Mal. Troy entend des voix… dans sa tête. Le monde est promis au Feu du Ciel. Troy est le Messager. Modeste cavalier de l’Apocalypse, casqué et botté de noir, il enfourche sa Harley, traverse les états, rejoint la biblique Moab et la foudre jaillit de ses shotgun calibre 12.

Dans sa poche, un cahier manuscrit au titre prophétique, Après l’empire : «Il y avait l’orage et les fauves, les guerres et les tempêtes, des reptiles longs comme un soir d’été vagissaient le long des hummocks en attendant leur heure et les Indiens, les Timucua, Calusa, Tequesta, les Indiens tournés vers l’est s’efforçaient de déchiffrer les signes avec la certitude paisible qu’ils n’y parviendraient jamais.»

Bonne lecture et surtout ne marchez pas là où le serpent a dormi !

Jean-Paul Brethenoux

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