Le présent billet rassemble mes notes de lecture sur Hexagone, livre de Lorànt DEUTSCH, paru chez Michel Lafon en septembre 2013.
Hexagone : Sur les routes de l’histoire de France / Lorànt Deutsch ; avec la complicité d’Emmanuel Haymann. Neuilly-sur-Seine : Editions Michel Lafon, 2013. 458 p. ISBN : 978-2-7499-1783-2. 18,95 €. Illustration : © Lorànt Deutsch, Michel Lafon, photo de couverture Greg Soussan.
Ces notes portent principalement sur la première moitié de l’ouvrage qui traite de la protohistoire de la France, de la Gaule celtique et gallo-romaine jusqu’à l’Antiquité tardive.
L’ensemble du livre est divisé en 26 chapitres ; le titre de chapitre est constitué d’une mention de période historique, du thème principal et d’un itinéraire accompagné d’une petite carte au format vignette.
Exemple : 1, VIe siècle avant notre ère. Des émigrés bien accueillis. De Marseille à la Bourgogne par la route de l’étain.
L’acheteur du présent volume de vulgarisation historique est plutôt favorable à ce type de découpage. Les chapitres sont courts, la lecture agréable. Des encadrés précisent des éléments historiques ou archéologiques.
Celui du chapitre 1 concernant Marseille mentionne les fouilles du Vieux-Port, menées en 2005, par l’INRAP, l’Institut national de recherches archéologiques préventives. On se dit que la démarche est sérieuse, documentée…
Lorànt Deutsch aime les légendes, en particulier celle de la fondation de Marseille par les Phocéens (des Grecs d’Asie), accueillis par les Ségobriges (des Ligures). Gyptis, fille du roi Nann, choisit le Grec Protis pour époux en lui offrant une coupe d’eau ! L. Deutsch cite Aristote, dans l’encadré, la source première, reprise par Justin et Athénée de Naucratis (qu’il ne mentionne pas).
L’auteur amoureux des légendes ne résiste pas à nous fournir le menu de la noce, Hexagone, p. 20 : « Les mets les plus délicats se succèdent, fines tranches de veau froid, charcuteries, pâte de moelle et de jaune d’œuf, gelée de groins, faisans gras… et les timbales à peine vidées sont remplies de cervoise parfumée de feuilles de menthe. »
Sans vouloir faire trop de mauvais esprit, il faut rappeler que le festin se situe vers 600 av. J.-C. et que l’on peut exprimer un léger doute sur le faisan gras. Pour deux raisons, le gibier n’est jamais gras et la présence de faisan (de Colchide) à Marseille à cette époque reste problématique.
Ce détail ne porte pas à conséquence et encore moins à polémique. Le lecteur peut simplement se dire qu’il vient d’entrer en littérature.
Au chapitre 2, Lorànt Deutsch évoque la Grande Dame, la princesse de Vix, Bourgogne, VIe s. avant J.-C. Il décrit la ville et le palais, il a connaissance des fouilles récentes menées en 2007.
« Deux vastes pièces sont destinées aux banquets, tandis qu’à l’extrême pointe de l’édifice, on vient invoquer les divinités bienfaisantes qu’on vénère et les démons cruels qu’on redoute. » Hexagone, p. 36. En une seule phrase L. Deutsch vient de glisser de l’archéologie à l’heroic fantasy !
Parce que s’il est évident que les spécialistes du culte de la quasi-totalité des religions invoquaient la ou les divinités bienfaisantes, l’invocation des démons ou de divinités malfaisantes pose problème. Parce que invoquer un dieu ou un démon, c’est l’appeler, le faire venir !
Il reste des traces de cela dans le folklore du XIXe s. notamment en Bretagne où le diable, an diaoul, est désigné sous le sobriquet de Paulig, (Petit-Paul) . On ne le nomme pas par son nom et surtout on le fait le moins souvent possible.
« _ Ma parole et celle de Taranis, ma parole et celle de Belisama, leurs paroles saintes mêlées à ma parole…
Diadème d’or sur la tête, drapée dans sa tunique écarlate teintée à la racine de garance, la Grande Dame module se oraisons, implorant le dieu guerrier, appelant la déesse et son arc redoutable. » Hexagone, p. 36.
Sans vouloir chipoter sur le choix de la couleur rouge, plus liée à l’aspect guerrier que souverain chez les Celtes et les Gaulois, ni sur la mention de Taranis et de Belisama, authentiques divinités gauloises, aux attestations plus tardives, quelques détails m’interpellent.
Taranus, « l’orage », est considéré par plusieurs historiens des religions comme le dieu souverain, équivalent gaulois du Jupiter latin, se manifestant par la foudre et le tonnerre, cf. le vieux-breton, taran = tonnerre.
L’aspect guerrier du dieu a été cependant retenu par Jan de Vries, La religion des Celtes. Payot. Toutatis, Ogmios ou Smertrios, équivalent d’Hercule, correspondraient peut-être plus à l’aspect guerrier recherché.
L’arc de Belisama évoque celui de Diane ou d’Artémis. Or c’est à Minerve que Belisama a été assimilée à l’époque gallo-romaine. La lance conviendrait donc mieux ici.
Poursuivons la lecture, Hexagone, p. 36.
« Elle psalmodie les formules consacrées dont le pouvoir conjure les maléfices et entrouvre la voûte céleste. Les litanies, les invocations adressées au feu vivant, les hymnes répétés pour obtenir la miséricorde des dieux favorables renvoient les princes de l’Empire des Ténèbres dans les espaces brûlés par un vent torride où se meuvent les esprits mauvais. »
Horresco referens. Cela fait peur ! Les princes de l’Empire des Ténèbres ! S’agit-il des Grands Anciens de Lovecraft, des Nazgûl de Tolkien, des Seigneurs du Chaos de Moorcock ou plus modestement des harpies africaines vaincues par le Solomon Kane de Howard ?
Par Crom, (authentique dieu irlandais), il est peu probable que les Celtes aient cherché à entrouvrir la voûte céleste ; la chute du ciel étant pour eux, au moins depuis le temps d’Alexandre, une image de la fin du monde…
Après ce bref examen de la religion celtique revue par L. Deutsch, entrons maintenant dans l’Histoire.
Depuis le chapitre premier, L. Deutsch évoque l’artisanat, le commerce et les routes commerciales de l’ambre, de l’étain, du sel, du fer : c’est à porter à son crédit.
En revanche, lorsqu’il s’occupe de l’univers des guerriers, les choses se gâtent un peu.
Chapitre 3. IVe siècle avant notre ère. Brennus, le premier Gaulois.
Cette mention du premier Gaulois est curieuse, mais elle peut s’expliquer par le passage du monde celtique du Premier âge du Fer (800-450 av. J.-C.) au second où les Gaulois apparaissent en tant qu’ethnies différenciées.
« Le IVe siècle avant notre ère, période que les historiens désignent comme le second âge du fer, voit ce métal s’imposer progressivement, changer les habitudes et modifier même l’art ancestral de la guerre. Ainsi apparaît une arme redoutable : une épée plate, solide, tranchante et d’un mètre de long ! » Hexagone, p. 50.
L’épée est utilisée bien avant le Second âge du Fer : au Premier âge du Fer et même à l’âge du Bronze. Quant à la lame, si elle est longue au début du IVe siècle avant J.-C., au moment de l’invasion gauloise en Italie, elle se raccourcit sur certains modèles vers 335 av. J.-C.
Notons qu’un peu plus loin, L. Deutsch insiste à juste titre sur l’invention par les Celtes du fourreau métallique (fer ou bronze) de l’épée et de la cotte de mailles.
Aussi est-il dommage qu’à la page suivante, Hexagone, p. 51, il retombe dans des clichés. « Les armées avancent, les guerriers aux tresses durcies à la chaux, le corps nu peint en bleu pour impressionner l’ennemi, poussent des cris effroyables et tranchent les têtes. »
La peinture bleue est un cliché redondant du cinéma, de la BD et de toutes sortes d’ouvrages traitant des Celtes antiques et médiévaux.
Si les corps sont nus (torses nus serait plus exact), à quoi servent donc les cottes de mailles ? Même si cette protection d’un coût très élevé ne devait équiper qu’un petit nombre de guerriers. Protégés par leur bouclier plat et oblong, les Gaulois tuent (ou blessent) avec le javelot, la lance, et éventuellement l’épée. Quant aux têtes tranchées, elles le sont après le combat, avec des couteaux.
J’ai évoqué un peu plus haut l’apparition des Gaulois en tant qu’ethnies différenciées. L’invasion de l’Italie par les Gaulois vers 390-380 av. J.-C. va faire connaître le nom des Sénons, qui ont laissé leur nom à Sens dans l’Yonne.
« Ils attendent donc que tous les autres peuples se soumettent à leur volonté. « Sénons » le terme par lequel ils se désignent, ne veut-il pas dire « les Premiers ? ». Hexagone, p. 54.
La réponse est non ! Sénons (Senones) veut dire les « Anciens ». Puisque L. Deutsch cite le Dictionnaire de la langue gauloise de Xavier Delamarre, Errance, 2003, dans sa bibliographie, il aurait dû y lire que c’étaient les Rèmes (Remi) de Champagne-Ardenne qui étaient les « Premiers » ou les « Princes ». D.L.G. p. 257. « Senos = ancien, vieux » se trouve aux pages 270-271.
Poursuivons jusqu’au chapitre 5, IIe siècle avant notre ère. La vengeance des Romains.
Nous sommes en 121 av. J.-C. L’armée romaine du consul Domitius Ahenobarbus (renforcée de contingents éduens et marseillais) va affronter la coalition des Arvernes et des Allobroges, commandée par l’Arverne Bituit.
« Bituit ne sait pas encore que trente mille stratèges valent mieux que deux cent-mille têtes brûlées. » Hexagone, p. 87.
Un cliché : les Gaulois sont des têtes brûlées ! Et une erreur : le stratège ou commandant est forcément en nombre limité, de 1 à 10 dans une armée grecque. Le mot « légionnaires » opposé à « guerriers » aurait largement suffi.
Venons-en au chapitre 6, Ier siècle avant notre ère. Le rêve gaulois de César.
Là, Lorànt Deutsch réalise un exploit diplomatique ! Celui de ne pas localiser Alésia et de ne pas mentionner les Mandubiens, possesseurs de la ville d’Alésia, fondée par le héros grec Héraclès, personnage important de son Hexagone. Alors que tout au long de son livre, il indique, dans des encadrés, jusqu’au numéro de la rue où se trouvent les vestiges qui lui semblent importants.
Lorsqu’il évoque le sort misérable des civils expulsés de la place par Vercingétorix, il se garde bien de les nommer Mandubiens. Car cela supposerait de préciser la localisation d’Alésia, à Alise-Sainte-Reine (Côte-d’Or), localisation contestée par certaines officines à vocation touristique, situées plus à l’est, du côté des Séquanes.
Soucieux de ne pas lasser le lecteur du présent billet et de ne pas trop accabler Lorànt Deutsch, je vais terminer sur un dernier point agaçant au possible.
Franchissons les siècles jusqu’en 410 ap. J.-C.
Chapitre 11, Ve siècle, Quand Rome renaît à Reims.
« Le Breton Ivomadus se met à la tête de mille homme et vient occuper Blois pour ne faire une tête de pont de la Ligue armoricaine. Car là-bas, la Bretagne gauloise subit des mutations profondes… Chassés par les invasions saxonnes et les Scots venus du Nord, les Bretons de la grande île viennent en masse se réfugier sur le continent. Cette immigration transforme la réalité bretonne, ces terres deviennent celtiques… Oui, « deviennent » ! Le terroir qui, aujourd’hui, se veut farouche partisan de l’identité celtique, à travers sa langue et sa musique, n’a été véritablement celtisé qu’en ce Ve siècle ! » Hexagone, p. 175.
Gast ! Le lecteur bienveillant aura noté le caractère péremptoire de l’énoncé. Celui qui l’est un peu moins commencera à éprouver un doute sérieux sur la qualité des informations historiques et linguistiques livrées par Lorànt Deutsch !
Dans ce morceau de bravoure où il piétine allègrement l’Emsav (Emzao) ou « Mouvement breton », l’auteur se moque aussi et surtout du lecteur.
Que les Bretons insulaires aient commencé à s’installer dans l’Armorique gauloise dès le IVe siècle, et peut-être même dès le IIIe siècle, avec l’autorisation des Romains pour défendre le littoral de la Manche et de l’Atlantique contre les raids saxons (on a la mention d’un raid de navires saxons à Barzan en Charente-Maritime vers 230) ne semble pas l’intéresser.
Que les régions insulaires qui ont fourni les immigrants bretons ne soient pas justement celles qui on été les premières touchées par l’invasion des Saxons, lui importe peu. Ce qui le préoccupe, c’est de rejeter l’ancienneté de la celticité de la terre. Or, ce sont les hommes qui parlent une langue, pas la terre.
En clair, les Bretons ne seraient arrivés qu’au Ve siècle. Donc qu’ils la ferment un peu avec leurs prétentions politiques et culturelles. On n’est plus ici dans le domaine de l’histoire mais dans celui de l’expression du politique. Que l’on peut accepter ou rejeter, à chacun de choisir ou pas.
Mais passer à la trappe, les noms celtiques des peuples gaulois nommés Redones, Ossismes, Coriosolites, Vénètes et Namnètes, oublier le monnayage armoricain qui constitue un des plus beaux exemples de la numismatique gauloise, ignorer la statue de Paule, représentant un barde avec sa lyre, ne me semble pas acceptable.
Le gaulois ou celtique continental a été parlé en Armorique comme dans l’ensemble de la Gaule celtique, qui ne se nommait pas l’hexagone, sur une période de plusieurs siècles, voire d’un millénaire. Il est clair de mon point de vue que Lorànt Deutsch se livre ici à de la désinformation.
Pour compléter les éléments de bibliographie indiqués ici, le lecteur pourra consulter et explorer les sites suivants :
encyclopédie de l’arbre-celtique